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Tribunes

25 avril 2024

Santé Mentale au travail : future bombe à retardement ?


Alors que le 28 avril prochain aura lieu la Journée Mondiale de la Sécurité et de la santé au travail, il est un sujet qui va mobiliser fortement les RH dans les mois et années à venir : la dégradation de la santé mentale des salariés. Si la santé mentale recouvre un large spectre de causes et de situations, le travail reste un facteur déterminant et aucune catégorie d’entreprise ou d’institution, ni aucun employeur n’est épargné.

Il n’y a pas si longtemps, on parlait du mouvement de la « grande démission », mais il faudrait désormais parler de la « grande dépression », une menace silencieuse qui ne cesse de gonfler dans le contexte de permacrise que l’on connaît. En effet, tous les signaux sont au rouge et traduisent une inquiétante érosion du bien-être psychique, en particulier depuis la crise sanitaire.

La détresse psychologique touche désormais 48% des salariés (+4 points en un an), dont 17% de manière très élevée, d’après le 12ème baromètre du cabinet Empreinte Humaine réalisé avec OpinionWay. En parallèle, l’étude Mental Health at Work réalisée en 2023 par The Workforce Institute nous apprend que 7 salariés sur 10 attribuent leur mal-être au travail, et pensent que leur santé mentale dépend de leur relation avec leur manager, devant celle avec leur conjoint. Ce tout dernier chiffre pourrait prêter à sourire s’il n’était pas le témoin d’un enjeu de santé publique majeur.

Du côté du législateur, il semble malheureusement qu’il faille attendre la survenue de crises pour prendre toute la mesure de l’enjeu. Avant 2008 et la vague de suicides chez France Télécom, les notions de risques psycho-sociaux et de qualité de vie au travail n’existaient pas. De même, c’est bien la forte augmentation de la prévalence des troubles liés à la Covid-19 qui a donné l’impulsion de la loi Santé au travail du 2 août 2021, qui impose davantage de prévention aux entreprises. Pour autant, la France n’est pas forcément plus mauvaise élève que les autres, puisqu’à l’échelle mondiale, 3 personnes sur 4 ont déjà souffert de troubles en lien avec leur travail (Rapport annuel sur la santé mentale, Ipsos pour Axa, 2024).

Face à une situation plus qu’alarmante, et alors que les exigences des salariés envers leur employeur ne sont plus à prouver, qu’est-ce qui explique le manque d’une politique engagée et proactive en faveur de la santé mentale au travail ?

Dans un panel d’articles consacrés à ce sujet, Welcome to the Jungle offre un élément de réponse en posant les termes d’une question pertinente : entreprises, responsables ou gardes-fous ? Ce double statut de juge et partie est bien au cœur de la problématique. Car si les employés pensent que la santé mentale devrait être une priorité pour leur employeur, la plupart craignent encore de s’exprimer, par crainte de représailles (peur pour leur emploi, leur carrière ou leur image) ou du jugement. De leur côté, les managers s’estiment insuffisamment préparés pour aborder cette thématique.

Parler de sa santé mentale génère encore un malaise palpable, c’est évident. Mais le gouffre entre l’état psychologique des salariés et les solutions qui leur sont apportées est trop large pour ne pas tenter de dépasser ces difficultés et s’acclimater à ce sujet, aussi universel qu’il est intime. Oui, l’entreprise est légitime pour s’en emparer.

Décloisonner, lever les tabous et les freins, accompagner tant les salariés que les équipes RH : tels sont les objectifs affichés de Moka.care, Holivia ou encore Teale, ces plateformes nouvelle génération qui forment l’écosystème de la Mental Tech. Ces start-up, dopées aux conséquences de la crise sanitaire, ont été récemment soutenues par de généreuses levées de fonds. Rien qu’en 2021, pas moins de 200 structures ont émergé dans cet univers, proposant de l’accompagnement individuel, des dashboards collectifs ou encore de la mise en relation avec des professionnels en santé mentale (psychologues, coachs…)

Les premiers succès de ces acteurs nous renseignent sur les orientations à suivre pour mieux aborder la santé mentale au sein des entreprises, et notamment pour les équipes RH. S’il est primordial de s’intéresser aux symptômes et à leurs conséquences, il l’est tout autant de mettre en œuvre une politique de prévention structurelle, qui passe notamment par la QVCT.

Pour commencer, iI faut pouvoir poser le bon diagnostic, en étant capable d’identifier les risques liés à la santé mentale dans son entreprise, en fonction de ses métiers, de sa culture, de sa politique managériale et bien sûr des situations de ses collaborateurs. Les risques peuvent être nombreux ou de natures très différentes : cas de violences ou de harcèlement, inégalités, charge et rythme de travail, conditions de travail, culture organisationnelle…

Il est essentiel de pouvoir aborder ces sujets avec honnêteté, transparence et proactivité, car ils supposent d’être au plus près de la réalité vécue par les salariés et de savoir accepter les éventuelles erreurs ou manquements. En outre, il faut pouvoir donner des garanties de protection, voire d’anonymat aux salariés lorsque cela est nécessaire. Bien sûr, les nouvelles technologies, souvent boostées à l’intelligence artificielle, peuvent accompagner cette réflexion, mais la santé mentale est une histoire d’écoute humaine avant tout.

Par ailleurs, une politique sur la santé mentale doit aussi prendre en compte la diversité du spectre des troubles : troubles anxio-dépressifs, de la personnalité ou de l’humeur, épuisement professionnel, addictions, TOC, TCA… Cela s’étend également aux questions d’inclusion des personnes autistes ou neurodivergentes dans l’environnement de travail.

Autre domaine qui peut nous inspirer collectivement : celui de la pop culture, qui s’est lancée dans un grand mouvement de déstigmatisation. De Stromae chantant ses idées suicidaires au 20h de TF1 à Panayotis Pascot racontant sa dépression dans son premier roman, en passant par le streameur politique Jean Massiet qui faisait son coming-out bipolaire il y a quelques semaines, la culture démontre un temps d’avance sur la société dans son ensemble.

Le festival Pop & Psy qui a tenu sa 2ème édition en novembre 2023 a d’ailleurs permis de valoriser l’évolution des représentations en santé mentale dans les films et séries au fil des ans. On ne peut donc que souscrire au discours d’Aude Caria, directrice de l’association Psycom, qui nous invite tous à « rendre la santé mentale populaire » :[CT1]  un credo dont nous pouvons – et devons – nous saisir en tant que communicants.

Trop peu d’associations et d’institutions, encore moins de marques se sont emparées de ce sujet jusqu’à présent. Et si, à l’instar du greenwashing, il est essentiel d’éviter toute forme de mentalwashing, il y a pourtant des opportunités de communication dans la démocratisation de la santé mentale, comme l’ont par exemple montré Spotify au cœur de sa marque employeur, ou bien Asics et son engagement citoyen aux côtés de l’assocation Mind.

Et s’il fallait encore se convaincre, voici un dernier argument financier imparable. Alors que le coût du mal-être au travail est estimé en moyenne à 3000€ par an et par salariés d’après Geoffroy Verzat (cofondateur de Teale), l’OMS nous apprend qu’un dollar investi dans le traitement de l’anxiété et de la dépression au travail en rapport quatre.

Nul doute que la santé mentale doit être au cœur des priorités de l’entreprise, dès maintenant, et durablement.