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Tribunes

29 janvier 2024

Fake un jour, authentique toujours ?


Début janvier, l’édition 2024 du CES – le salon Consumer Electronic Show – s’achevait en consacrant l’intelligence artificielle comme l’horizon indubitable des nouvelles technologies et du progrès humain. De l’Intelligence Artificielle à la Réalité Augmentée, on peut d’ores et déjà constater à quel point celles-ci ont un impact grandissant dans nos métiers de communicants. Et ce, à tous les échelons, de la conception à la production de contenus en passant par nos méthodologies de veille. 

Pour ce qui est du contenu directement visible par nos audiences, une tendance récente, massivement diffusée sur les réseaux sociaux, nous a particulièrement interrogés. Il s’agit du FOOH – pour Fake Out of Home – une appellation dérivée du classique OOH décrivant des formats qui mêlent réalité augmentée et images générées par ordinateur. Ainsi a-t-on vu ces dernières semaines sur TikTok des sacs Jacquemus géants roulant près de l’Opéra de Paris, un aspirateur Samsung nettoyer les rues d’Amsterdam ou encore Big Ben affublé d’une doudoune jaune de chez The North Face. 

Les images sont parfois tellement réalistes que le spectateur se pose légitimement la question de leur véracité. Ces publicités chercheraient-elles volontairement à semer le doute ? Après l’ère post-Covid qui célébrait partout l’authenticité chez les marques, ces dernières pourraient-elle prendre le chemin contraire ? Et plus largement, comment s’articulent aujourd’hui les rapports entre le fake et l’authentique en communication ? 

Si l’on se replonge dans le façonnage de la publicité, ou si l’on se place du côté de ses détracteurs, on pourrait arguer que le procédé du fake a plus ou moins toujours fait partie intégrante de son histoire. Dans les années 80 puis 90, les effets spéciaux ont inondé le petit écran et permis d’investir toutes sortes de mécaniques rhétoriques, telles que l’hyperbole du célèbre rugissement félin de Perrier. Les années 2000 ont quant à elles vu exploser les excès des logiciels de retouche, avant que les années 2010 ne finissent par déconstruire l’ensemble de ces procédés et imposer des formes plus authentiques pour tenter de contrer la défiance des consommateurs. 

Sans nul doute, le fameux « retour à l’essentiel » prôné depuis 2020 constitue une forme d’apothéose pour l’authenticité, qui flirte alors avec d’autres valeurs comme la sincérité ou la transparence. En contrepoint de l’infobésité et de la croissance exponentielle des fake news, l’authenticité a fini par s’imposer comme un remède nécessaire pour des institutions et des entreprises en mal de confiance. A l’heure où la technologie permet de rendre l’irréel vraisemblable, de quoi le FOOH et ces nouvelles technologies défiant réalité et vérité sont-elles le signe ? 

Hypothèse numéro une : elles pourraient bien marquer une inversion de tendances et donc le retour à une époque de la démesure. Un tel retour pourrait se comprendre comme une double réponse au climat d’austérité qui plane sur nos sociétés : une volonté de retrouver le goût de l’extraordinaire d’une part, tout en le faisant de manière plus responsable d’autre part – on se doute qu’une doudoune numérique est bien moins chère et énergivore qu’une doudoune réelle à l’échelle de Big Ben. 

Par ailleurs, on observe cette course à la grandiloquence aussi bien en politique avec la polarisation des opinions ou dans d’autres domaines comme la mode et la décoration, qui sacrent le maximalisme sur la tombe du minimalisme (au point que Marie Kondo elle-même déroge à ses propres règles…).  

Et en matière de communication, il n’y a qu’à constater l’affolement publicitaire qui s’est créé autour de la sphère de Las Vegas, ce dôme d’écrans gigantesque, pour comprendre que la publicité ne s’est jamais totalement défaite d’une certaine folie des grandeurs et semble ravie de s’y replonger. Il est vrai que pour se démarquer dans la bataille de l’attention, pousser tous les curseurs à l’extrême pour se faire remarquer et générer plus de sensations semble être une voie pertinente. Dans un tel scénario, c’est bien l’impact généré par le contenu qui prime sur sa véracité. Autrement dit, on ne mesure plus l’engagement suscité par la communication à l’aune de l’authenticité de son émetteur, mais bien au potentiel émotionnel qu’il génère chez le destinataire, l’important étant de marquer les esprits. 

Hypothèse numéro deux : c’est celle que développe Jean-Laurent Cassely dans son ouvrage No Fake, contre-histoire de notre quête d’authenticité, paru en 2019. Il y déclare notamment, que « le fake d’un jour peut devenir l’authentique du lendemain ». Dans cette vision, le fake et l’authentique coexistent et s’entremêlent dans ce qui est avant tout une affaire de perception et de publics concernés. L’authenticité de l’un peut être le fake d’un autre, et vice-versa.  

A titre d’exemple, Instagram a longtemps été le réseau de l’authenticité, avant d’être aujourd’hui détrôné par d’autres comme TikTok, ou plus particulièrement un certain BeReal. Par ailleurs, l’auteur tire le fil de la figure du hipster pour raconter l’histoire de l’authenticité en marketing, et même en imaginer le développement jusqu’en 2049, où il se figure les bobos du futur cherchant à tout prix à habiter des lotissements pavillonnaires, alors même qu’aujourd’hui ils voient ces logements comme le summum du fake. Ainsi, plutôt qu’une inversion des valeurs, on assisterait à une redistribution des cartes où les repères sont brouillés, individualisés et surtout, relatifs à leur époque. 

Pour en revenir au FOOH, c’est bien sur ce risque de brouillage que nous alerte Gilles Wybo, directeur de la rédaction de Stratégies dans son édito d’avril 2023. Cette possible ère du faux produit ou de la fausse publicité qui se présage pose en effet la question de l’éthique et de la responsabilité. Quelle que soit l’hypothèse que l’on retiendra – et on pencherait plutôt pour un savant mélange des deux – ce doit être la question centrale de nos métiers pour une réflexion sur l’usage des nouvelles technologies. 

Il n’y a pas si longtemps, on a vu une certaine prise de conscience se consolider sur la responsabilité de l’industrie publicitaire dans la lutte contre la désinformation. A titre d’exemple, dans cet engagement contre les fake news, nombreux ont été les acteurs (agences, régies, annonceurs…) à se poser la question du financement des sites et médias problématiques via les logiques programmatiques. 

L’étape d’après, qu’il nous faut franchir collectivement, consiste à nous interroger plus globalement sur le rapport au fake dans nos outils et usages. C’est justement ce que nous mettons en œuvre chez WAT dans notre charte de communication responsable, dont une partie est notamment dédiée à l’usage de ces nouveaux outils, parmi lesquels les IA génératives. Parmi ses grands principes, on retrouve ainsi la levée de toute ambiguïté sur les outils et procédés utilisés pour concevoir un texte, une image ou un support, auprès de nos clients et de leurs parties prenantes. Nous prônons également un usage réfléchi et modéré pour limiter l’empreinte carbone de ces outils, mais aussi une utilisation qui ne relaye pas les biais éthiques encore trop souvent observés dans les versions actuelles de ces outils. 

Indépendamment de la morale artistique ou de la réflexion par ailleurs nécessaire sur l’évolution de nos métiers, c’est une auto-discipline qu’il nous faut adopter, à l’image de l’autrice qui a reçu l’équivalent du prix Goncourt au Japon en assumant qu’environ 5% des phrases de son roman avaient été rédigées par ChatGPT. Alors, fake, son roman ? Mais sa qualité n’est-elle pas authentique pour autant ? Le débat promet d’être passionnant.